Aujourd'hui, 29 février:
Bien campée sur ses jambes aux varices proéminentes, madame Suzanne, 76 ans, taillée comme un tronc d'épicéa, se tient au milieu du hall d'entrée au moment ou je débouche de l'escalier.
C'est chaque jour la même chose. De 9 heures du matin au journal de 13h00 de TF1 et de 13h45 au début de "Plus belle la vie", du lundi au vendredi, madame Suzanne se tient assise dans le hall, et se lève dès qu'elle perçoit le moindre bruit de pas dans l'escalier, afin de se positionner devant la porte d'entrée.
Son poste de veille est la chaise stratégiquement placée à l'entrée de son ancienne loge, à 3 mètres de la porte du hall.
A son âge, elle compense le manque de souplesse qui l'empêche de se lever prestement de sa chaise par une qualité d'audition qui ferait passer Super Jaimie pour Robert Hossein dans une pub Audika.
A moins qu'elle n'ait investi dans le dernier modèle de radar thermophonique de chez Dassault, mais j'en doute.
Boudinée dans sa blouse orange en tergal qui me fait regretter d'avoir arrêter de fumer, elle me bloque innocemment le passage pour échanger, comme à chaque fois que je pars en retard, les banalités d'usage glanées dans les pages "faits divers" du Parisien ou le journal de Jean-Pierre Pernaut.
C'est son frisson, elle vit dans la peur de se faire agresser et se satisfait des décès, divorces et autres drames qui surviennent chez les célébrités.
Ah oui, pour préciser ma description, il me faut vous dire qu'elle trouve Nadine Morano très distinguée, pas vulgaire pour deux sous.
C'est comme ça.
L'une des principales qualités de madame Suzanne, outre sa capacité chronophage à vous instruire des derniers ragots dont un être humain normalement constitué se fiche totalement, c'est parler en utilisant des mots et des expressions qu'elle déforme involontairement.
Par exemple, après son opération du cœur, elle racontait à qui voulait l'entendre - et qui ne voulait pas aussi - qu'elle se portait beaucoup mieux après la pose de son spinnaker.
Au niveau du souffle, sans doute.
Quand elle en a assez des locataires qui claquent la porte entre 20h10 et 20h35, elle vous annonce les yeux dans les yeux que la couche est pleine.
Je vous l'accorde, il n'y a pas de quoi se relever la nuit pour fouetter un chat, mais la conversation est parfois difficile à suivre, surtout quand on est pressé.
Et ce matin, c'était assez simple à comprendre quand elle a parlé de l'année bissexuelle.
En revanche, Jean-Pierre Pernaut l'a surement éclairée lors de sa grand messe du 13h00, car ce soir en rentrant, elle a tenu à placer dans son monologue le fait que 2012 est une année bitextile.
Cachemire et soie, peut-être.
Plutôt Kevlar carbone pour moi.
Pas de quoi se mettre Marcel en tête quand même.
Serviteur
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Et ne reviens pas nous emmerder quand c'est "Plus belle la vie"! (allégorie) |